SUSO SAIZ

Suso Saiz 4

“J’essaie toujours de préserver ma dose de réalisme magique et d’envisager chaque moment comme unique. Que suis-je? Compositeur, guitariste, arrangeur, producteur, ingénieur… je ne sais pas”.

Suso Saiz

Explorateur sonore et multi instrumentiste capable d’évoluer dans la musique commerciale comme dans les replis de la matière sonore la plus abstraite, le gaditan Suso Saiz est un « multivers » à lui seul dont la trajectoire s’étalant sur quarante ans défie très largement les catégories habituelles du petit monde de la musique. Une hyperactivité et une « bougeotte » assumées, encore aujourd’hui : « Je dois reconnaître qu’avec le temps, mes goûts et mes intérêts non seulement ne se réduisent pas mais augmentent chaque jour. C’est une torture, mais je ne peux pas l’éviter. Je finis une pièce pour orchestre et le pas suivant me conduit à faire une pièce électronique minimaliste ou je me souviens soudain avec nostalgie de l’époque du rock progressif ou bien je songe encore au folklore des pygmées Bibayak ».

 

 

Musicien précoce, Suso Saiz débute véritablement sa carrière dans les années 70 au Real Conservatorio de Madrid où il étudie d’abord la guitare puis la composition. S’il joue alors dans quelques éphémères groupes folk et s’il a également quelques contacts avec la scène jazz, c’est surtout sa rencontre avec un professeur, l’influent musicien électroacoustique Luis de Pablo, qui va fa lui ouvrir de nouvelles perspectives. Luis De Pablo va en effet faire découvrir à son élève le courant minimaliste américain, mené par des compositeurs comme Terry Riley, Steve Reich ou Philipp Glass, et certaines musiques non-occidentales, deux territoires sonores qui le marqueront durablement. Suso Saiz demeurera fasciné par l’approche du timbre et les répétitions hypnotiques de ces musiques.

 

Bien qu’il enregistre très tôt ses travaux électroniques ou de guitare modifiée de façon artisanale, ses premiers enregistrements officiels sont les albums du groupe d’avant-garde Orquesta de las nubes (L’orchestre des nuages) qu’il fonde en 1980 avec la soprano Maria Villa et le percussionniste Pedro Estevan. Entre jazz, contemporain, musique ethnique et répétitive, le groupe produit une musique inclassable, libre et joyeuse, que l’on peut rattacher au courant « new age » (Laraaji, Ariel Kalma) et qui entretient également des affinités avec les productions du label allemand ECM. Sur une base de fines percussions tribales et de touches impressionnistes de guitare ou de synthétiseurs, la musique du groupe accorde une place importante aux voix qui alternent un certain lyrisme avec un registre plus percussif voire délirant ou chamanique, parfois proche de la création phonétique de Schwitters, Cage ou Aperghis et du travail de musiciens tels Ghedalia Tazartes ou Beñat Achiary (en plus sage). Une proposition insolite, tout particulièrement dans le panorama espagnol de l’époque, qui débouchera sur trois albums studio, sortis dans les années 80.

 

Dans la deuxième moitié de la décennie, Suso Saiz alterne albums solo et collaborations. Dans son travail en solitaire, le musicien cherche clairement à explorer des sonorités plus commerciales, s’efforçant de créer une musique instrumentale produite et sophistiquée, sorte de pop 80’s sans chant ni parole, dans laquelle on perçoit parfois l’influence de Laurie Anderson. Quoiqu’inégaux, ces disques proposent ponctuellement d’intéressantes embardées ambient à travers des plages plus contemplatives et épurées, où règne en maître la guitare, qui anticipent d’une dizaine d’années certaines sonorités post rock dans leur versant le plus mélancolique (Jim O’Rourke, Loren Connors, Lee Ranaldo). C’est aussi l’époque à laquelle Suso Saiz initie des collaborations à travers lesquelles il aime à se réinventer dont la première avec le chanteur et percussionniste américain Glen Velez, membre de l’ensemble de Steve Reich, qui donnera lieu à la publication d’un album, parfois qualifié de « jazz rock baléarique », sous le nom de Música Esporádica. Suivront des collaborations avec des personnalités artistiques aussi variées que Luis de Pablo, Jorge Reyes, Steve Roach, Justo Bagüeste, Suzanne Kraft, Salif Keita, Fennesz ou Francisco López, mais également de façon plus surprenante avec des médecins ou des architectes ; Suso Saiz étant toujours à la recherche de regards susceptibles de nourrir sa vision à la fois fonctionnelle et mystique de la musique, comme son rapport à l’espace ou à la ville.

 

Dans les années 90, Suso Saiz se tourne vers le travail de producteur et d’arrangeur pour de nombreux groupes, qui deviendront parfois très populaires en Espagne, qu’ils soient d’obédience pop-rock comme ceux du label indépendant GASA (Esclarecidos, Duncan Dhu, Celtas Cortos), ou plus « indie rock » comme Los Planetas ou Los Piratas. C’est également durant cette décennie qu’il développe la composition de bandes originales de films, certaines pouvant s’apparenter par leur qualité à des œuvres très personnelles (Katuwira). Loin d’affaiblir son travail, ce passage par des processus plus contraignants et standardisés de production va progressivement doter la musique de Suso Saiz d’une dimension cinématique qui lui faisait jusqu’alors défaut.  Au fil de la décennie, le gaditan publie ainsi plusieurs albums intéressants, nettement moins commerciaux que ceux des années 80. Dans Mirrors of Pollution ou Quartet, le son devient plus dense ; des sonorités plus telluriques apparaissent. La dimension abstraite et minimale de l’expérimentation sur la guitare cède la place à une palette plus riche d’instruments (percussions, cordes, accordéon) ou d’effets (distorsion, field recording). C’est de cette période que date Horizonte Paseo inclus dans La Ola Interior, un inédit en forme de ballade urbaine faisant résonner les sons naturels avec les nappes de guitares.

 

 

Toutefois, il ne s’agit là que de la face immergée de l’iceberg. Car, parallèlement à ces diverses activités publiques, Suso Saiz développe depuis le début de la décennie un travail d’expérimentation dans son home studio basé sur les boucles de guitare, de synthétiseurs et de percussions électroniques. Il s’est expliqué sur la génèse de ce travail qu’il a dénommé ses “hypnotiques”, appelés à devenir sa marque de fabrique. « Ce matériau provient de deux besoins. Le premier consistait à trouver le sommeil en raison de mes problèmes d’insomnie, ce qui conférait au moment de l’enregistrement des automatismes et de la spontanité. Le deuxième était sans doute la nécessité pour moi de trouver de nouveaux chemins. Conçus à l’aube, avec des références à des mythes particuliers comme “2001 : l’Odysée de l’espace” de Stanley Kubrick, ces enregistrements m’ont aidé à me lever chaque matin avec l’esprit plus clair” (Entretien avec Antton Iturbe, pour TIU Mag, 2016). Egalement développés sur scène, les “hypnotiques” évoquent un mélange de post-rock et d’electronica contemporaine. Agrémentées d’effets, les boucles de guitare se muent en vastes paysages sonores, pouvant aller jusqu’à d’une durée d’une heure. Malgré quelques apparitions discographiques confidentielles, ce travail ne sera révélé qu’avec la publication en 2008 du coffret The Box Of The Insomniac Songs, devenu depuis un jalon de l’ambient espagnole.

 

 

A partir des années 2000, l’œuvre de Suso Saiz se fait toujours plus artisanale, libre et radicale, tendant à se déconnecter de l’industrie musicale. Outre les “hipnóticos” domestiques, ses activités officielles se résument alors à quelques collaborations, dont certaines passionantes, avec une poignée de musiciens rescapés de groupes produits dans les années 90 (Diego Vasallo de Duncan Dhu, Fon Román de Los Piratas)  que Suso Saiz parvient à attirer irrésistiblement loin de la pop, dans son univers expérimental, hypnotique et contemplatif. La consécration internationale parviendra de façon quelque peu inattendue au milieu des années 2010 lorsque le très tendance label hollandais Music for Memory publiera coup sur coup une rétrospective solo de sa carrière (Odisea), une compilation d’Orquesta de la nubes (The Order of Change) puis une réédition de l’unique album de Música Esporádica . Au vu du succès critique de ces disques, le label sortira régulièrement par ailleurs les nouveaux disques produits par le prolifique musicien espagnol, dont le très réussi Rainworks.

Compositeur et musicien discret, insomniaque et improvisateur, ayant transité par la musique la plus populaire sans y laisser son âme ni sa peau, éternel curieux avide de nouvelles expériences et de rencontres, Suso Saiz aura parcouru les chemins d’une musique légère, abstraite et minimale, autant qu’il se sera consacré à la création de complexes illusions sonores richement texturées et quasiment tactiles, en véritable alchimiste du son.

Discographie

Orquesta de las Nubes

Me paro cuando suena. Linterna Música. 1983.

El orden del azar. Linterna Música. 1985.

Manual del usuario. GASA. 1987.

The Order of Change. Compilation. Music for Memory. 2018.

 

Música Esporádica

Música Esporádica. GASA. 1985. Réeditions successives chez No-Cd Rekords et Music for Memory.

 

Albums Solo

Prefiero el naranja. Linterna Música. 1984.

En la piel del cruce. GASA. 1986.

Confidencias. 3 cassettes. GASA. 1987.

Hypnotics. Slow Food. 1992.

Mirrors of Pollution. No-Cd Rekords. 1994.

Quartet. DRO. 1998.

The Box of Insomniac Songs. Coffret de 8 Cds auto-publié en 2008. Réédition chez Geometrik Records en 2017.

Rainworks. Music for Memory. 2017.

Nothing is Objective. Music for Memory. 2019.

 

Collaborations

Avec Jorge Reyes. Crónica de castas. NO-CD Rekords. 1990.

Avec Fon Román. Plurals et Impronta. Astro Discos. 2005 et 2007.

Avec Justo Bagüeste. Inducing the Pleasure Dreams V2. Geometrik. 2019.

Avec Suzanne Kraft. Between No Things. Music for Memory. 2020.

Avec Francisco López. Conscious Polarize. Two-Headed Snake. 2021.

 

Bande originale

Katuwira. NO-CD Rekords. 1998.

VIDEO

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