Camino al desván

Lole García i Jordi Cabayol Camino al desvan 1983

Le duo possédait une personnalité surprenante, teintée d’un romantisme brumeux. Leur environnement quotidien semblait marqué par la présence de leurs chats qui ronronnaient devant les haut-parleurs en observant des présences invisibles.

Javier Hernando, La cadencia envolvente de Camino al desván.

Maria Dolores, dite Lole, Garcia et Jordi Cabayol se rencontrent en 1982 dans le quartier barcelonais de Horta. Si cette zone légèrement excentrée, située au Nord Est du parc Guëll, ne dispose pas d’une scène musicale à proprement parler, un certain nombre d’artistes et de groupes se rencontrent alors autour du même local de répétition. Le combo de Garcia, Logotipo, et la formation de Cabayol, Entr’acte, y travaillent ainsi aux côtés de personnalités parmi les plus intéressantes de la scène musicale catalane du début des années 80 telles Francesc Beltran (Autoplex), Jordi Guber (Lineas Aereas, Metropakt, Velodrome) ou encore Javier Hernando (Xeerox, Melodinamika Sensor, radio PICA).

 

Camino al desván. Jordi Cabayol et Lole Garcia

 

Suite à la dissolution de leurs groupes respectifs, le couple désormais formé par Garcia et Cabayol fonde Camino al desván, littéralement «le chemin au grenier», en 1983. De l’aveu même des musiciens, les débuts sont difficiles tant ils proviennent d’univers musicaux éloignés. Si Entr’Acte pratiquait un free rock déjanté, proche du son Canterbury et de groupes comme Henry Cow et Art Bears, Logotipo s’inscrivait au contraire dans un courant post punk minimaliste à la Raincoats et Au Pairs. Il suffit d’écouter pour s’en convaincre les contributions respectives des deux formations sur l’essentielle compilation Domestic Sampler (UMYU), conçue et éditée en 1982 par Víctor Nubla .

 

Pack des cassettes Violines y trompetas et Una fuente inservible

Née comme une histoire d’amour, l’aventure Camino al desván s’apparente donc à un petit saut dans le vide pour ses protagonistes. D’emblée, Jordi et Lole décident d’abandonner pour ce nouveau projet leurs instruments respectifs, la guitare et l’orgue, afin de se concentrer sur les synthétiseurs et la boîte à rythmes. Ce choix initial permettra au groupe de sortir des canevas habituels et de construire sa musique à partir d’expérimentations plutôt qu’à partir d’une pratique instrumentale rôdée ou de l’écriture de morceaux. A l’instar d’un autre couple et duo contemporain de l’électronique espagnole, les tout aussi excellents Diseño Corbusier de Javier Garcia et Ani Zinc, Camino al desván réussira à créer une musique sans équivalent sur la scène musicale de la péninsule. Ni groupe postpunk, ni groupe d’improvisation ou d’électronique pure et dure, Camino al desván sera une formation éminemment originale et marginale, située à la croisée de multiples influences, parfois contradictoires.

 

Pour comprendre la musique du groupe, il faut d’abord se référer à son désir de se démarquer de la scène industrielle. En compagnie du musicien Javier Hernando et du photographe et graphiste Angel Lalinde, Lole et Jordi ont fondé le micro-label et distributeur de musique indépendante Ortega y Cassette, dont le nom est un jeu de mots autour de la figure du philosophe et chantre de la modernité espagnol, José Ortega y Gasset. Dans des déclarations faites au fanzine Syntorama en 1985, les responsables d’Ortega y Cassette fustigent les pochettes en noir et blanc, les photographies de cadavres, détruits, mutilés et blessés, le format cassette comme une revendication illogique. Ce positionnement à contre-courant de la cassette culture espagnole et européenne vaut aussi pour qualifier la musique de Camino al desván. Comme l’a déclaré Jordi Cabayol dans l’ouvrage de Jaime Gonzalo, La Ciudad Secreta , on nous assimilait à la dénommée musique industrielle, mais nous ne nous identifions pas à elle. Nous pouvions parfois avoir recours à des sons assimilables à cette musique pour créer nos bases, mais seulement pour construire une autre musique qui, pour nous au moins, n’avait rien voir.

 

Camino al desván à la maison

Plus de trente ans après, il est toujours difficile de définir la musique de Camino al desván tant celle-ci se caractérise par sa nature hybride et sa versatilité. Structures répétitives, stratégies minimalistes, dérives électroacoustiques et résonnances médiévales s’y côtoient en effet librement, offrant à l’auditeur la sensation d’être exposé à une musique mutante. Dans le morceau Adjudicado a la danza, boucles de synthétiseur et de violon jouent en canon jusqu’au vertige, à l’instar des minimalistes américains ou de Moondog. La plage Fock intimida a Gordi puise son charme de l’alternance entre douceur mélodique cotonneuse et perturbations bruitistes du signal. Quant au morceau La contorsión de Pollo, il est basé sur l’amplification continuelle de la texture sonore. Enfin, si certains morceaux du groupe s’apparentent à des chansons – dans lesquelles la voix de Lole est comme filtrée voire perdue dans un passage souterrain -, c’est toujours à la recherche d’une certaine qualité sonore ou d’une atmosphère.

 

La cohérence et l’identité de Camino al desván résident peut-être exclusivement dans l’attention extrêmement élaborée portée au son. Disposant à ses débuts d’une unique boîte à rythmes, fabriquée par le frère de Lole, le duo compense la faiblesse de son équipement par un usage inventif d’effets qui, appliqués à la guitare, la voix, l’orgue ou le violon, permettent de subvertir leur tessiture et de façonner une musique électronique presque sans instruments électroniques. Malgré sa dimension artisanale, Camino al desván excelle dans la construction d’ambitieux paysages sonores, bricolés mais remarquablement immersifs, dans lesquels chaque son semble «profilé» comme s’il avait été retraité à l’aide du laptop. Pour définir le son si singulier du groupe, le critique Germán Lázaro aka Jack Torrance a évoqué des couches qui apparaissent progressivement pleines d’une information mal codée, semblant produites par une tête de lecture, et qui finissent pas devenir légèrement rythmiques ; se référant également aux textures, aux rugosités et au grain.

 

Collage Promo

 

Au-delà de son approche élaborée du son, l’univers du groupe campe volontiers des ambiances troubles et menaçantes, voire sordides, fréquemment empreintes de tristesse et de désolation. Comme l’a encore relevé Germán Lazaro, Camino al desván relève de l’esthétique gothique par ses cadences, ses répétitions hypnotiques, ses litanies quasi sataniques, ses chœurs angéliques, ses sons d’orgues et ses couches de cordes synthétiques. Et l’on peut certes rapprocher le groupe de formations telles Cabaret Voltaire, Cocteau Twins, Factrix, Tuxedomoon ou de l’écurie 4AD. L’intérêt de Lole et Jordi pour l’absurde, le fantastique et le surréel, notamment à travers leur goût en matière d’art, de littérature et de cinéma, n’est sans doute pas pour rien dans la nature lancinante, hypnotique et malsaine de cette musique, dotée d’une dimension fortement narrative. L’intégration du pianiste Carlos Luis, ancien membre d’Entracte, permettra enfin au groupe d’élargir sa palette sonore dans sa dernière étape, apportant une touche mélancolique qui évoque parfois Erick Satie.

 

Logo de Camino al desván

 

Cultivant la discrétion et fuyant la scène, Camino al desván évoluera constamment en marge des principaux circuits de la musique indépendante, comme un électron libre. Camino al desván demeurera toujours un groupe confidentiel, trouvant peu de presse pour se faire l’écho de son existence. Seuls quelques fins connaisseurs du panorama musical national, tels Victor Nubla  ou Andrés Noarbe, manager et responsable du label d’Esplendor Geométrico , percevront à l’époque la richesse et l’absolue singularité du groupe. La discographie de Camino al desván se résumera au final à trois cassettes auto-éditées sur Ortega y Cassette: 581 (1983), Violines y trompetas (1983) et Una fuente inservible (1984), auxquelles il faut néanmoins ajouter une dizaine de morceaux publiés sur des compilations nationales ou internationales. Peu avant de se séparer, le groupe donnera le seul concert de son existence, le 22 avril 1986 à la salle Transformadors de Barcelone, publié la même année en cassette sur le label d’Andrés Noarbe et d’Esplendor Geométrico, EGK.

 

Pochette intérieure de l’intégrale du groupe publiée par La Olla Expréss

Pendant des années, les enregistrements du groupe demeureront introuvables et sa musique un des secrets les mieux gardés de l’underground espagnol. A l’heure du glitch et de la dark wave, alors que les bandes son du cinéma de genre sont devenues d’authentiques graals pour les amateurs de musique expérimentale, on ne peut que remarquer à quel point Camino al desván faisait figure de précurseur. En 2017, le label barcelonais d’Eli Gras, La Olla Expréss, éditera un somptueux double CD comprenant l’intégralité, moins un morceau, des enregistrements du groupe ; manière splendide de corriger les oublis de l’histoire.

Discographie

Camino al desván

581 – Cassette (Ortega y Cassette, 1983)

Violines y trompetas – Cassette (Ortega y Cassette, 1983)

Una fuente inservible – Cassette (Ortega y Cassette, 1984)

Actuación en Transformadors – Cassette (EGK, 1986)

Integral 1983-86 – 2 CDs (La Olla Expréss, 2017)

Présence sur des compilations :

Katacombe vol. 2 – Cassette (Schrei Records, 1984)

Home-made music for home-made people vol. 3Loopy but chic – Cassette (Insane Music, 1985)

Avant-dernières pensées / Melodinamika Sensor / 32 Guajar’s Faragüit / Camino al desván également connu comme 4 grupos de Barcelona – LP (Discos Esplendor Geométrico, 1985)

En directo en Barcelona – Cassette (Cintas Esplendor Geométrico, 1986)

EGK : Compilación – Cassette Cintas Esplendor Geométrico, 1986)

 

Jordi Cabayol sous le nom d’Ocran Sanabu

Una vida tranquila (1995)

Paseos (1998)

El Món Desconegut (2001)

4TV (2010)

Rocco (2012)

Hot Docs (2012)

Personnel

Maria Dolores Garcia : voix, orgue Farsifa, synthétiseur (KORG MS-20)

Jordi Cabayol : guitare électrique, violon, synthétiseur, boîte à rythmes, basse, saxophone alto, voix.

Carlos Luis (1985-86) : piano, synthétiseur, voix.

Jesús Melcon : synthétiseur sur La contorsión de Pollo.

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